Appel à communications – colloque « Politique de la liberté académique », Montréal, 16-17 avril

Sur la période récente, la liberté académique a fait l’objet d’atteintes protéiformes, dans des contextes politiques aussi bien autoritaires que démocratiques : peines de prison prononcées à l’encontre d’universitaires, procès-bâillons, fermetures d’institutions de recherche, interdiction pure et simple de champs d’études entiers, coupures brutales de financements, perturbation d’évènements scientifiques ou pédagogiques, encadrement juridique, éthique et procédural des opérations de recherche, censure de certains travaux ou enseignements, campagnes d’harcèlement et de diffamation, etc. (inter alia Corbett & Gordon 2018, Paternotte & Verloo 2019, Aldrin et al. 2022, Siméant 2022, Kiwan 2024). L’étude de ces dynamiques est rendue d’autant plus malaisée par le fait qu’elles suscitent des débats véhéments et des mises en récit contradictoires, portées par des acteurs politiques, académiques ou médiatiques aux intérêts divergents.

Ce colloque vise à objectiver les évolutions contemporaines de la liberté académique ainsi que les mobilisations, les controverses et les régulations dont elle fait l’objet. Ce faisant, il se propose de contribuer à l’analyse des transformations de l’espace universitaire à l’échelle internationale, des luttes qui le traversent ainsi que de ses interactions avec d’autres espaces sociaux. Dans le sillage de travaux récents (Frangville et al. 2021, De Gennaro et al. 2022, Heurtaux 2024), il entend rassembler des contributions informées par différentes disciplines (histoire, science politique, sociologie, droit, philosophie, etc.), prenant pour objet des cas d’étude variés (régimes autoritaires et démocratiques, pays du Nord et du Sud) et étayées par des approches diverses (comparaisons internationales et/ou infranationales, enquêtes qualitatives et/ou quantitatives, etc.). Les propositions pourront s’inscrire, sans exclusive, dans une ou plusieurs des pistes de réflexion suivantes :

1) Régulations de la liberté académique

Les responsables politiques prennent divers types de mesures visant à restreindre la liberté académique (fermeture d’établissements, oppression ou licenciement d’universitaires, etc.), l’affirmer ou la réaffirmer (inscription de la liberté académique dans la loi ou la constitution) ou l’encadrer (contrôle du caractère éthique et intègre des chercheurs, conditionnalité des financements à des indicateurs de performance, etc.). De quelles dynamiques historiques ces mesures sont-elles le produit ? Comment la liberté académique s’articule-t-elle avec d’autres droits et libertés (Bassotti & Encinas de Muñagorri 2018, Fernandes 2023) ? Quels liens entretient-elle avec l’autonomie, variable d’un pays à l’autre, des établissements universitaires et du champ académique vis-à-vis de l’État ? Quels sont les changements introduits par les évolutions récentes ? Quelles sont les conditions de mise à l’agenda, de cadrage et de production de ces mesures ? Procèdent-elles de circulations internationales de notions, de pratiques ou d’instruments ? Par quels acteurs, académiques ou extra-académiques, sont-elles portées et façonnées ? Comment sont-elles traduites dans des instruments d’action publique et mises en œuvre au niveau local ?

2) La liberté académique comme objet et instrument de luttes

Les enjeux liés à liberté académique donnent lieu à de multiples formes de mobilisations, portées aussi bien par des personnels académiques que par des entreprises privées, des acteurs politiques et médiatiques, des citoyens ordinaires, etc. Certaines visent à restreindre les travaux et la parole des acteurs académiques (procès-bâillons, campagnes de dénigrement en ligne, perturbations de conférences ou de cours, etc.) quand d’autres se donnent pour objectif de les défendre (soutien à des chercheurs mis en cause et/ou privés de leur liberté, dénonciation de l’empêchement d’activités scientifiques, dénonciations d’évolutions du droit de la recherche, cela via des pétitions, communiqués, rétentions de notes, grèves, manifestations, sit-in, etc.). Ces luttes sont aussi des controverses et des luttes de définition : la notion même de liberté académique est susceptible d’y faire l’objet de définitions concurrentes voire de distorsions sémantiques, en lien avec les causes défendues par leurs promoteurs (Fish 2014, Boncourt 2024). Plus largement, l’invocation de la liberté académique est aussi un registre argumentatif susceptible d’être mobilisé comme ressource symbolique, afin de cadrer ou grandir des causes qui n’y sont parfois qu’indirectement liées. Par exemple, la liberté académique peut constituer une catégorie d’intervention internationale, liée à la diplomatie scientifique et/ou justifiant la création de réseaux transnationaux, de programmes de formation et de dispositifs d’accueil. De quels types de luttes et d’usages stratégiques la liberté académique fait-elle l’objet ? A quels débats ou controverses donne-t-elle lieu ? Quels sont les profils sociologiques des acteurs impliqués dans ces luttes ? Quelles ressources économiques, sociales et culturelles mobilisent-ils ? Quelles formes prennent leurs modalités d’action, à l’échelle locale ou transnationale ? Quelles sont les causes défendues, et comment leur cadrage évolue-t-il d’un contexte à un autre ? Dans quelle mesure des mouvements liés à ces causes s’institutionnalisent-ils ? 

3) Liberté académique, conditions de production de connaissances et trajectoires scientifiques

Les régulations et limitations de la liberté académique, ainsi que les actions collectives dont elles font l’objet, ont un impact sur les carrières de chercheurs et peuvent constituer pour eux, à l’extrême, des tournants biographiques. Elles peuvent aussi affecter durablement les trajectoires d’institutions académiques et/ou de champs de recherche, et donc in fine la production du savoir. Comment les limitations ou extensions de la liberté académique façonnent-elles les conditions de production de connaissances et les savoirs produits ? Que font-elles aux institutions académiques ? Comment transforment-elles les rapports des chercheurs à leur métier, leurs pratiques scientifiques, leurs institutions ou leurs publics ? A quelles stratégies d’exit professionnel (reconversions) et géographiques (migrations et exils) donnent-elles lieu ? Des lieux alternatifs de production de connaissances se structurent-ils lorsque les universités n’offrent plus les conditions nécessaires à cette activité ? Comment fonctionnent ces autres espaces (associations, ONG, think tanks, maisons d’édition…) et comment la liberté des universitaires y est-elle négociée ? Dans quelle mesure les actions collectives de défense de la liberté académique socialisent-elles les participants, et quels effets produisent-elles sur les trajectoires professionnelles ou le sentiment d’appartenance au corps de métier ? Comment l’ensemble de ces évolutions s’articule-t-il aux parcours de vie ?

4) Déclinaisons sectorielles, disciplinaires et statutaires de la liberté académique

La liberté académique et ses limitations prennent des formes variables selon les disciplines, en fonction notamment du degré de sensibilité politique et éthique des objets sur lesquels portent leurs travaux, et du caractère plus ou moins critique des savoirs proposés (Gautier & Zancarini-Fournel 2022). Ces formes fluctuent également en fonction des contextes d’exercice des chercheurs (universités publiques ou privées, établissements publics à caractère industriel et commercial, entreprises, fondations, associations, etc.), de leur statut (titulaire, temporaire, doctorant, etc.) et du contexte politique, économique et social dans lequel ils exercent leur activité. Comment se décline la liberté des chercheurs dans ces différentes configurations ? Existe-t-il, en termes de liberté académique, des inégalités entre chercheurs de différents statuts, secteurs ou champs de recherche ? Certains espaces peuvent-ils constituer des refuges quand d’autres font l’objet de restrictions conséquentes ? Comment sont répartis les dispositifs de défense de la liberté académique et de solidarité professionnelle en fonction des disciplines, champs de recherche et zones géographiques ? Quelles variations internationales ou infranationales peut-on observer ?

Modalités de soumission

Les propositions de communications, en français ou en anglais, seront envoyées à l’adresse academic.freedom.colibex@gmail.com avant le 30 septembre 2024. D’une longueur maximale de 5000 signes, elles mentionneront la question de recherche guidant la communication, le ou les cas d’étude empirique étudiés, les méthodes mobilisées et les principaux résultats obtenus ou envisagés.

Calendrier prévisionnel

Juillet 2024 : lancement de l’appel à communications

30 septembre 2024 : clôture de l’appel à communications

Octobre 2024 : notification des communications retenues

16-17 avril 2025 : tenue du colloque

Le colloque a pour objectif, à terme, la production d’une publication collective.

Comité d’organisation

Thibaud Boncourt (Université Jean Moulin Lyon 3, Triangle, IUF), Joséphine Desfougères (Université Sorbonne Paris Nord, IFEA), Michel Lacroix (Université du Québec à Montréal), Simon Mangon (Sciences Po Aix, Ifpo), Maryse Potvin (Université du Québec à Montréal)

Le colloque est organisé dans le cadre de la chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression (Colibex). Cette chaire collective coordonnée par huit cotitulaires (quatre en France, quatre au Québec) se déploie autour de quatre axes : le premier aborde la question de la régulation de la liberté d’expression en rapport avec les droits humains fondamentaux et la démocratie (axe 1) ; les trois autres traitent plus spécifiquement de ses rapports avec la religion (axe 2), la science, les savoirs et la liberté académique/d’enseignement (axe 3) et la création (axe 4).

Références

Aldrin, P., Fournier, P., Geisser, V. & Mirman, Y. 2022. L’enquête en danger : vers un nouveau régime de surveillance dans les sciences sociales. Paris, Armand Colin.

Bassotti, M., & Encinas de Muñagorri, R. 2018. « L’exercice des libertés fondamentales par les travailleurs scientifiques ». Revue de Droit du Travail, 10, p. 649.

Boncourt, T. 2024. « La liberté académique comme catégorie de la pratique. A propos de la constitution du rôle d’universitaire en problème public ». Zilsel – Science, technique, société, 14, p. 11-19.

Corbett, A., & Gordon, C. 2018. « Academic Freedom in Europe: The Central European University Affair and the Wider Lessons ». History of Education Quarterly, 58 (3), p. 467-474.

De Gennaro, I., Hofmeister, H. & Lüfter, R. (dir.). 2022. Academic Freedom in the European Context. Legal, Philosophical and Institutional Perspectives. Londres, Palgrave Macmillan.

Fernandes, C. 2023. « La liberté académique, une liberté spécifique ? ». La Revue des droits de l’homme, 24.

Fish, S. 2014. Versions of Academic Freedom: From Professionalism to Revolution. Chicago, The University of Chicago Press.

Frangville, V., Merlin, A., Sfeir, J. & Vandamme, P.-E. (dir.). 2021. La liberté académique. Enjeux et menaces. Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles.

Gautier, C. & Zancarini-Fournel, M. 2022. De la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche. Paris, La Découverte.

Heurtaux, J. (dir.). 2024. Pensées captives : répression et défense des libertés académiques en Europe centrale et orientale (et au-delà) : trente ans de recherche au Cefres de Prague. Condé-en-Normandie, Codex.

Kiwan, D. 2024. Academic Freedom and the Transnational Production of Knowledge. Cambridge, Cambridge University Press.

Paternotte, D. & Verloo, M. 2020. « Political Science at Risk in Europe. Frailness and the Study of Power », in T. Boncourt, I. Engeli, D. Garzia (dir.), Political science in Europe. Achievements, challenges, prospects, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2020, p. 287-310.

Siméant-Germanos, J. 2022. « Qui protéger, consentir à quoi, enquêter comment ? Les sciences sociales face à la bureaucratisation de la vertu scientifique ». Genèses, 129, p. 66-87.

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