Liberté d’expression et liberté académique : balises, polémiques et enjeux actuels
Dans le cadre du REID qui aura lieu à Marseille du 13 au 15 novembre 2024, Maryse Potvin (cotitulaire de la Chaire), Pierre Bosset, Bruce Maxwell (cochercheurs COLIBEX), Adam Tremblay et Antoine Poucet (membres étudiants de la Chaire) organisent le symposium Liberté d’expression et liberté académique : balises, polémiques et enjeux actuels.
Résumés des présentations
La science comme droit culturel. Analyse du rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels
Pierre Bosset (cochercheur COLIBEX, Université du Québec à Montréal)
Le 21 février 2024, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, Mme Alexandra Xanthaki, déposait auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies un important rapport sur le droit de participer aux sciences en tant que droit culturel (ONU, 2024). Ce rapport met l’accent sur l’importance d’une approche inclusive du « droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications » reconnu par le droit international. Il rappelle l’évolution du sens même de la science, qui désormais englobe toutes les approches scientifiques. Le rapport souligne l’importance de la participation des groupes et des communautés à l’élaboration des politiques scientifiques. Il met de l’avant le rôle et la responsabilité des scientifiques dans les débats publics. Les obstacles au droit de participer aux sciences sont clairement identifiés, entre autres : les menaces à la liberté de recherche et aux libertés académiques; le sous-financement chroniques des universités; la privatisation et l’instrumentalisation des sciences; les entraves au nom de la morale; etc. Cette communication mettra en évidence les aspects les plus marquants de ce rapport fondé sur une conception de la science comme objet d’un droit culturel appartenant à tout être humain.
Référence :
ONU, Conseil des droits de l’Homme (2024). Droit de participer à la science.
Rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, Alexandra Xanthaki, Cinquante-cinquième session, 26 février–5 avril 2024, Doc. NU A/HRC/55/44.
Politiques d’intégrité scientifique et liberté académique. Regards sur les cas français et britannique
Thibaud Boncourt (cotitulaire de la Chaire, Université Jean Moulin Lyon 3)
L’intégrité scientifique est progressivement devenue un objet de politiques publiques, à partir des années 1980 aux Etats-Unis et des années 2000 en Europe. De nombreux pays ont ainsi mis en place des cadres juridiques, des agences et des dispositifs d’action publique pour diffuser les normes d’intégrité et instruire les méconduites supposées de chercheurs, sur la base de procédures ad hoc.
Ces politiques et leur mise en œuvre varient cependant d’un contexte national à l’autre, de sorte que l’intégrité scientifique est susceptible d’être encadrée par des procédures différentes (plus ou moins formalisées, plus ou moins juridicisées, etc.) et par des professionnels aux profils variés (personnels scientifiques ou administratifs, dotés de ressources plus ou moins abondantes, etc.). La régulation des savoirs scientifiques s’écarte ainsi des formes traditionnelles d’évaluation par les pairs pour mettre en jeu d’autres normes, procédures et acteurs à géométries variables. De ce fait, ces nouvelles configurations mettent sous tension la liberté académique.
L’objet de cette communication est d’expliquer l’origine des politiques d’intégrité scientifique, les formes diverses qu’elles sont susceptibles de prendre et ce qu’elles impliquent pour l’autonomie des chercheurs dans la régulation des savoirs scientifiques. Elle s’appuie, pour ce faire, sur une comparaison franco-britannique et des matériaux qualitatifs – une étude d’archives et une série d’entretiens avec des acteurs de la production de ces politiques dans les deux pays.
Liberté académique : comparaison internationale et regard sur la Loi sur la liberté académique au Québec et les politiques universitaires qui en découlent
Antoine Poucet (membre étudiant COLIBEX, doctorant en sociologie, Université du Québec à Montréal) et Maryse Potvin (cotitulaire de la Chaire, Université du Québec à Montréal)
La liberté d’expression et à la liberté académique sont mises à mal depuis quelques années dans les débats publics, mais leur définitions, étendue et limites sont souvent méconnus et incomprises au sein même des milieux universitaires. Cette communication porte sur les différents encadrements politiques et juridiques adoptés dans plusieurs pays visant à protéger et à circonscrire la liberté académique, ainsi que sur les raisons ou les types de « menaces » qui ont motivés l’adoption de ces encadrements. Elle se penche ensuite plus longuement sur la Loi sur la liberté académique de 2021 au Québec et sur les politiques adoptées par chacune des universités, qui découlent de la Loi, afin de comparer les définitions qu’elles apportent à la liberté académique, leur statut, leur formulation, le rôle des différents acteurs et leur mise en œuvre. Elle présente une analyse approfondie de ces encadrements et soulèvent des questions sur la production des savoirs et de la science, et les risques et enjeux entourant la production des cadres normatifs, et de leurs interprétations.
Le devoir d’impartialité et les limites de la liberté d’expression du personnel enseignant : une analyse de la jurisprudence étasunienne et canadienne
Bruce Maxwell (cochercheur COLIBEX, Université de Montréal), Antoine Poucet (membre étudiant COLIBEX, doctorant, Université du Québec à Montréal)
Même si le système judiciaire aux États-Unis et au Canada ne reconnaît pas le droit à la liberté académique du personnel enseignant, de nombreux jugements des tribunaux depuis les années 60 ont affirmé que celui-ci conserve le droit constitutionnel à la liberté d’expression en class et devant les élèves dans la mesure où ce droit soit exercé de manière raisonnable et responsable (Maxwell, Waddington & McDonough, 2019). Parmi les limites de la liberté d’expression définissant son exercice raisonnable et responsable selon les tribunaux est le respect du devoir d’impartialité, l’obligation professionnelle chez le personnel enseignant de s’abstenir de faire la promotion de son point de vue personnel sur les thèmes sensibles en classe (Maxwell, McDonough & Waddington, 2018). En se focalisant sur une sélection de décisions rendues par les cours supérieures étasuniennes et canadiennes, l’objectif de cette recherche exploratoire était de relever la façon dont les juridictions étatsuniennes et canadiennes interprètent la notion d’impartialité et comment celle-ci est appliquée au personnel enseignant du secondaire. À l’issue de notre analyse de 13 décisions judiciaires marquantes, nous constatons que la plupart des décisions analysées relèvent une tension entre les droits du personnel enseignant comme citoyen de manifester leurs valeurs et opinions et la posture professionnelle d’impartialité attendue. Dans le contexte canadien, le juges des tribunaux ont tendance à mettre l’accent sur la nécessité de créer un environnement d’apprentissage inclusif où la mission d’enseignement n’est pas teinte par les biais personnels de l’enseignement. Dans le contexte étasunien par contre, le principal souci des tribunaux est d’éviter que les opinions personnelles du personnel enseignant soient assimilées à celle de l’école.
Références
Maxwell, B., McDonough, K., & Waddington, D. I. (2018). Broaching the subject: Developing law-based principles for teacher free speech in the classroom. Teaching and Teacher Education, 70, 196-203.
Maxwell, B., Waddington, D. I., & McDonough, K. (2019). Academic freedom in primary and secondary school teaching. Theory and research in education, 17(2), 119-138.
Cartographie des affaires médiatisées et judiciarisées portant sur la liberté académique au Québec et au Canada
Maryse Potvin (cotitulaire de la Chaire COLIBEX, Université du Québec à Montréal), Isabelle Le Bourdais (membre étudiante COLIBEX, doctorante, Université York), Adam Tremblay (membre étudiant COLIBEX, doctorant en Université d’Ottawa)
Au cours des dernières années, un vaste débat sur la liberté d’expression en éducation s’est ouvert à la suite de controverses publiques et d’événements dramatiques dans différents pays, dont l’assassinat de deux enseignants de lycée en France, les accusations de wokisme, les sanctions et pressions exercées sur des professeurs d’université et la guerre culturelle menée par des partis ou gouvernements néoconservateurs. Ce phénomène est de plus en plus préoccupant, notamment aux États-Unis, où trente-six (36) États disposent de lois ou de projets de lois visant à limiter les discussions sur les questions raciales dans les écoles et à interdire l’enseignement de la Théorie critique de la race (Stout et Wilburn, 2022 ; Lewis et Achampong, 2022).
Cette communication se penche sur les enjeux touchant les libertés académique et d’expression en contextes éducatifs, et leur place dans le débat public – débat public s’étant récemment traduit, au Québec, par l’adoption d’une loi visant à protéger la liberté académique à l’université. La communication portera d’abord sur la production d’une cartographie analytique et interactive répertoriant les politiques publiques, les cas judiciarisés et les évènements médiatisés portant sur la liberté académique et la liberté d’expression en contexte éducatif. Elle présentera ensuite le traitement médiatique de l’expression « liberté académique » dans la presse écrite anglophone et francophone, ainsi qu’un portrait des évènements médiatisés dans chaque province ayant trait aux libertés académiques et d’expression des enseignants depuis 2015. Cette analyse médiatique, effectuée à l’aide des bases de données Eureka et Proquest, permettra de discuter de la nature des problèmes soulevés (autonomie des chercheurs et chercheuses, dynamiques institutionnelles, climat d’apprentissage, etc.), de l’ampleur de leur présence dans le débat public et de leur transformation au cours des dernières années.
Références : Stout, Cathryn et Thomas Wilburn (2022) CRT Map: Efforts to restrict teaching racism and bias have multiplied across the U.S. https://www.chalkbeat.org/22525983/map-critical-race-theory-legislation-teaching-racism/
Lewis, Maria M., Achampong Gabriella (2022). “Anti-CRT” and “Divisive Concepts” Legislation: A Primer for Educators. Legal Matters: September 2022, en ligne : https://www.nassp.org/publication/principal-leadership/volume-23-2022-2023/principal-leadership-september-2022/legal-matters-september-2022/
Antiracisme et liberté universitaire : une nouvelle bataille politico-culturelle au Québec
Denise Helly (cochercheuse COLIBEX, INRS)
Si les enseignements et les programmes antiracistes ou liés à l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) sont l’objet de critiques violentes dans les universités aux États-Unis, ils le sont beaucoup moins au Canada. Par contre, on note au Québec l’émergence d’une critique médiatique et politique qui s’en prennent au « wokisme » à l’université et à ce type de programmes. Des membres du présent gouvernement de François Legault voient dans l’insertion égalitaire des minorités religieuses, sexuelles et linguistiques une certaine menace à la nation franco-québécoise. Aussi, les chercheurs qui travaillent sur ces enjeux ont récemment fait l’objet d’atteinte à leur liberté universitaire. Cette communication retrace quelques affaires récentes survenues dans les universités québécoises, dont l’affaire Provost et l’affaire Helly, qui mettent en jeu la légitimité de l’étude des discriminations envers les minorités religieuses au Québec.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Colibex (25 septembre 2024). Liberté d’expression et liberté académique : balises, polémiques et enjeux actuels. Chaire COLIBEX. Consulté le 21 juin 2025 à l’adresse https://libexpress.hypotheses.org/12536